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Cin​é​ma pour l'oreille

by Roy

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1.
Le fond de la Seine Ce matin, les bords de la Seine sont déserts. La pluie sans doute. On entend une péniche qui remonte dans le brouillard. Une sirène lance un cri plaintif, une cloche lui répond d’un son mouillé. J’apprécie le cocon de ces matinées brouillardeuses. Vivre dans un abri de plastique sur les bords de la Seine m’expose nécessairement aux intempéries, d’origine divine ou humaine. Je descend quelques marches de vielles pierres et m’assied les pieds dans l’eau brune. Je plonge mes mains en coupe et m’asperge la tête. L’eau coule sur mon visage et ma nuque. La pluie a cessé. Ensommeillée le long du quai, une péniche tangue doucement. Je suis surpris chaque matin de constater que je suis toujours vivant. Je ne possède rien, ne désire rien. Je trouve ici et là le nécessaire et le reste, je n’en ai pas besoin. On me croît fou, je n’en demande pas tant. J’ai retiré quelques débris de pierres de Notre-Dame de Paris, en rénovation sur l’Ile de la Cité, en face. Elles sont bien alignées contre le mur de mon abri, en dessous de l’escalier qui relie le haut de la rue au quai d’Orléans, sur l’Ile Saint-Louis. À l’aide d’un vieux clou et d’un marteau à la tête arrondie d’avoir tant tapé, j’extirpe patiemment la douleur qu’elles recèlent en faisant ressortir des formes brutes venues des âges où on bâtissait encore des cathédrales. Je n’ai pas un talent particulier de sculpteur, c’est pourquoi ce qui sort de la pierre tient plus de l’esquisse que de l’oeuvre. C’est plutôt l’évocation qui compte ici, ce sont des havres pour les fantômes. Je travaille néanmoins consciencieusement et dès qu’une pierre me semble apte à accueillir des âmes perdues, un soir de pleine lune, je la jette à l’eau. Je regarde passer les péniches qui ont commencé leur journée. La rive gauche émerge dans le soleil naissant et la clameur s’élève: le battement du coeur de Paris. Ha! Paris. Je suis sensible à son histoire et ses fantômes me connaissent. Certains soirs, derrière le Procope, debout sur les pierres moyenâgeuses de la petite rue Bucy, il m’arrive de voir dîner Robespierre, seul dans un coin, ou Molière et sa troupe, finir en grand bruit une première de théâtre acclamée. Les pavés défoncés résonnent tout à coup du pas des chevaux et des roues des calèches. Des échos de voix me parviennent des rois et des reines qui se faufilent, intrigant dans les couloirs du Louvre. J’entrevois l’ombre des abbés qui rôdent autour des cloîtres, offrant leurs ferveurs à de jeunes nonnes éprises de Dieu. J’entend des conciliabules entre seigneurs et monseigneurs qui se font une cour politique et religieuse en rêvant de régner sur les corps et les âmes. Je les perçois exactement comme ils sont: mortels. C’est la seule vérité en regard des siècles. Tout s’use, tout. J’en sais quelque chose. Symbole du temps qui coule, la Seine n’y échappe pas. Pour chaque pierre que je balance à la flotte, dix fantômes peuvent aller s’y reposer. Un pêcheur jette sa ligne tout près. Son leurre se perd dans l’eau trouble. Ils se font de plus en plus rares à venir pêcher sur les bords de la Seine. Les poissons ont pris la couleur et l’odeur de l’eau. Ils s’accrochent seulement par désespoir aux quelques lignes que des nostalgiques leur lancent encore. De mémoire de poissons, on ne se souvient plus du dernier a avoir été sorti de l’eau pour être mangé. Tiens, Monsieur Victor Hugo sur le quai le regard rivé sur l’arrière de Notre-Dame. Je vois bien à quoi il pense. Je sculpte en tenant de l'ignorer, mais il pense fort. Son histoire de sans-papiers est encore si actuelle, ça le met de mauvaise humeur. Rien n’est réglé après tout ce temps. Tout est toujours à refaire. De plus en plus de pauvres, de plus en plus pauvres. Rareté des biens et peur mènent à l’individualisme et certains individus s’avèrent être des prédateurs ratoureux. La mémoire a peu d’effet sur la réalité et la réalité ne s’inscrit pas nécessairement dans la mémoire. Le temps passe et s’efforce d’oublier. Comme l’eau de ce fleuve, la vie nous pousse en aval et laisse, en amont, des berges inexplorées, des gens méconnus, des blessures immortelles, des amours sacrifiés. Je fais mon pèlerinage quotidien à l’église Saint-Louis-en-l’Ile. Elle est pour ainsi dire située dans ma cour. Je grimpe l’escalier qui est le toit de ma maison. C’est de l’autre côté de la rue. Comme un familier, j’entre par derrière. Je fais le tour des cierges allumés par d’autres et je laisse les cristaux de lumière pénétrer mon âme vacillante. Mille feux étincellent dans la pénombre de mon coeur et j’avance nimbé dans cette plénitude. Les centaine de petites chaises en rangées parallèles sont perdues dans l’immensité vide. Ici les fantômes sont plus présents et plus évanescents qu’ailleurs. Chaque colonne supporte sa part de la naissance et de la mort du Christ. Les fidèles sont devenus des infidèles, en d’autres lieux, ils ont transposé leur adoration sur d’autres dieux. Le dieu de l’argent a attiré les croyants et la foi s’est faite plus pragmatique. D’autres, simplement, oublient de revenir. On fonctionne maintenant avec des repères comme Noël, Pâques, funérailles, naissances. Des portes grincent, du vent s’engouffre, les bougies vacillent. Comme quiconque, je ressors par devant. Dehors, le parvis est ensoleillé, mais les gorgonnes pleurent des restes de pluie. Je vais saluer des fantômes au Père Lachaise. La Fontaine et Molière, côte à côte. Montand et Signoret toujours unis dans l’éternité. Oscar Wilde, Sarah Bernhardt. Je les nomme comme ça, pour mémoire, comme je nomme les révolutionnaires de la Bastille, les résistants espagnols ou les disparus de l’holocauste. Tous, artistes, révolutionnaires et victimes, sont réunis dans le temps. Il m’arrive de passer la nuit dans le vaste domaine des âmes, allongé entre deux stèles. Je dors où je veux. Ce soir, je m'étends entre les tombes de Frédéric Chopin et Michel Pétrucciani, l’un des plus vieux et l’un des plus jeunes arrivés. Improvisation pour deux pianos. Et c’est de la musique plein la tête, qui s’estompe au fur et à mesure, que je sombre dans le sommeil. Je m’endors, or. Haaaa! le jour. Il n’a pas plu. Et je suis en vie. Je dis aurevoir à tout le monde et je retourne lentement vers mon abri, par des chemins détournés dans le petit matin. J’entend dans le lointain la grosse cloche de la péniche du charbonnier qui sonne les huit heures sous le pont des Arts. Je descend l’escalier. Mon abri disparu. Je ne vois plus rien de mes toiles de plastique, mes couvertures, mes pierres, mes outils. Plus rien. Une intempérie humaine. Un coup de pied dans ma fourmilière. Je quitte donc les quais de la Seine. Je marcherai sans m’arrêter en signe de protestation contre le sens de la vie qui n’en a pas. Et lorsque j’aurai fait mille fois le tour de la terre, je reviendrai dormir en compagnie des fantômes, dans mon jardin de pierres sépulcrales, aux pieds du Pont de La Tournelle, au fond de la Seine. Roy Hubler Montréal, avril 1999
2.

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Il s'agit de mes textes lus et accompagnés d'une trame sonore de ma conception. L'emploi d'écouteurs est recommandé, le film sera meilleur.

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released April 12, 2022

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Roy Montreal, Québec

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